“Qu’il se taise !” disent les socialistes. Parce qu’ils veulent éviter le débat sur la place de l’islam en France.
L’une parle de « cynisme venimeux ». C’est Cécile Duflot, porte-parole des Verts. L’autre évoque un « délire maladif ». C’est Razzy Hammadi, l’un des secrétaires nationaux du Parti socialiste. Tous les deux, à quelques jours d’intervalle, ont renoué avec une phraséologie quasi soviétique pour tenter de discréditer leur adversaire et d’interdire tout débat sur les sujets qui les dérangent. Pourquoi ? Parce que le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a osé dire ce que pensent bon nombre d’électeurs et qu’ils répètent d’ailleurs depuis des mois à leurs députés.
« Les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux », a-t-il donc déclaré le 17 mars sur Europe 1. La veille, il avait dit aussi dans le Monde que « les Français veulent que les nouveaux arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur » et ne leur imposent pas « des pratiques qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale ».
Propos qu’il illustrait la semaine suivante par des exemples concrets, tirés de l’expérience des enseignants et des soignants : « Les agents des services publics ne doivent pas porter de signes religieux, ni manifester une quelconque préférence religieuse, mais les usagers du service public ne le doivent pas non plus. […] À l’hôpital, un certain nombre de personnes refusent, pour des femmes, des soins prodigués par des hommes. Eh bien, ce n’est pas admissible. » Le tout prononcé sur le ton calme et serein que l’on connaît à Claude Guéant.
C’en est trop pour la gauche qui, retrouvant de vieux réflexes, est tombée sur le ministre de l’Intérieur en lui reprochant aussi d’avoir comparé l’intervention en Libye à une « croisade ». « Un dérapage » inacceptable pour Martine Aubry – qui s’est gardée de citer l’intégralité des propos qu’elle critiquait. Le 21 mars, Claude Guéant, interrogé dans le cadre du Talk Orange-le Figaro, s’était réjoui que Nicolas Sarkozy ait « pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies, et puis la Ligue arabe et l’Union africaine ». Pas de croisade en Libye, donc, mais une campagne conduite à l’Onu en faveur de cette intervention. Tout en dénonçant la manipulation de ses propos, le ministre de l’Intérieur a reconnu qu’il aurait pu « prendre un autre mot ». Trop tard ! Le couperet était tombé : « Qu’il se taise ! », avait tranché François Hollande.
Qu’il se taise… C’est bien ce que voudraient tous ceux qui sont indisposés par les débats récurrents sur l’identité nationale, au point de traîner en justice tous leurs contradicteurs. Après le journaliste Éric Zemmour, Claude Guéant et, finalement, la droite tout entière feront-ils les frais de cette guerre sémantique, dont l’issue pourrait décider de la victoire d’un camp sur l’autre à l’élection présidentielle ?
En janvier, c’est Brice Hortefeux qui se retrouvait devant la justice après avoir dit d’un Français soupçonné de militer dans la mouvance islamiste radicale qu’il était un « djihadiste ». L’ex-ministre de l’Intérieur est poursuivi pour violation de la présomption d’innocence. Le tribunal de grande instance de Paris s’étant déclaré incompétent, c’est le tribunal administratif qui devra statuer… Cette fois, c’est son successeur qui est pris pour cible : l’association SôS-Soutien ô sans-papiers (dont le président, Rodolphe Nettier, milite aux côtés des clandestins depuis l’occupation de l’église Saint-Bernard en 1996) a annoncé qu’elle allait porter plainte contre Claude Guéant après ses propos sur l’immigration incontrôlée.
Cette judiciarisation des débats a, pour la gauche, un intérêt : éviter de traiter sur le fond les sujets controversés. Ancien directeur général de la Police nationale, Claude Guéant, qui est depuis neuf ans le plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, n’est pas réputé pour parler à tort et à travers. On l’a surnommé “le Cardinal”, en référence à Richelieu. Sa puissance de travail est reconnue par tous, il connaît ses dossiers. Il sait notamment ce qui se passe à l’hôpital.
Des soignants confrontés aux revendications identitaires
En 2003 déjà, la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité (qui se prononça pour la loi sur les signes religieux à l’école) soulignait les difficultés des médecins et des infirmiers : « L’hôpital […] avait déjà été confronté à certains interdits religieux, tels que l’opposition à des transfusions par des témoins de Jéhovah. Plus récemment se sont multipliés les refus, par des maris ou des pères, pour des motifs religieux, de voir leurs épouses ou leurs filles soignées ou accouchées par des médecins de sexe masculin. Des femmes ont ainsi été privées de péridurale. Des soignants ont été récusés au prétexte de leur confession supposée. »
Une circulaire sur la laïcité à l’hôpital a été diffusée en février 2005, mais « face à la montée des revendications identitaires, les instruments mis à la disposition de l’hôpital ne sont plus suffisants », précisait en 2006 le rapport Rossinot sur la laïcité dans les services publics.
Les socialistes ne l’ignorent évidemment pas. Que veulent-ils ? Martine Aubry, leur premier secrétaire, a signé la semaine dernière une pétition contre le débat sur la laïcité organisé par l’UMP : “Non au débat-procès de l’islam”. Tariq Ramadan aussi l’a signée. Cet intellectuel musulman est, par sa mère, le petit-fils d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans en Égypte. Celui-ci résumait d’une phrase sa stratégie d’islamisation de la société : « Nous voulons l’individu musulman, puis la famille musulmane, puis le peuple musulman, puis le gouvernement musulman, puis la nation musulmane » – ce qu’il appelait « la pensée par étapes ».
Bien qu’il dise n’avoir aucun lien avec les Frères musulmans, Tariq Ramadan parle, dans ses conférences, d’une « intelligence des étapes ». Jean-François Copé dénonçant cette compromettante proximité, Martine Aubry a préféré retirer sa signature, en affirmant qu’elle ignorait la présence de Tariq Ramadan parmi les pétitionnaires, et qu’elle n’avait « rien à partager » avec lui.
C’est aussi sous la pression qu’elle a fini par renoncer aux horaires de piscine réservés aux femmes musulmanes, à Lille-Sud. En 2003, plusieurs personnes auditionnées par la commission Stasi avaient pris cet exemple pour dénoncer les progrès du communautarisme en France. Aubry contre Guéant. Le communautarisme contre la loi commune. Ce sont bien deux idées de la France qui s’affronteront dans les prochains mois.
Fabrice Madouas